Les semblables.

Je me voile la face. De cette sorte de voile qui, trop souvent à mon goût, incite à ne pas mettre les voiles. Las. Qu’y pouvons-nous, solitaires ? Solitaire je le suis, autant que vous feignez de ne l’être point, et je sais (et vous savez que je sais) ce qui vous taraude. Point n’est besoin de carton ni de plumes : tout est ici, au plus profond de l’être, et le reste n’est qu’artifice. Je me voile la face quand vous vous dévoilez, oh nous étions pourtant si semblables, là , hier (les murs étaient si hauts et les cieux si rouges, vous en souvenez vous ?). Semblables. Semblables quand nous n’avions pas de commencement, quand les histoires n’avaient pas de fin. Semblables, jusqu’à l’instant précis où le masque jaillit du plus profond de l’être. Semblables, et pourtant… Je les ai patiemment observées – toutes – dans ce jardin d’enfants, et ce n’est pas tant leurs formes qui ont changé que leurs regards : de chacune d’elles quelque chose n’est plus, un je-ne-sais-quoi qui nous avait donné envie, à l’évidence, de les ensemencer. Semblables. Semblables, encore, aujourd’hui, nous avançons masqués (vous savez que je sais). Tenez, moi, par exemple, j’ai découvert tout à fait récemment – vous ne pouvez pas le voir, aussi je vous demande simplement, non : je vous conjure, de me croire sur parole – que je portais en turban un enfant de quatre ans. En turban. Il est assis depuis plus de quarante ans, en amazone, sur mon épaule gauche. Ses bras enserrent ma tête, sa joue droite est posée sur le haut de mon crâne. Je crois qu’il pleure. Joli masque effrayant, n’est-ce pas ? Joli et je dois vous avouer que si c’est un peu lourd un enfant de quatre ans sur l’épaule d’un enfant, ça vous a, parfois, une de ces gueules ! Non ! Ne pleurez pas… Solitaire et masqué, ça me va. Qui dit mieux ? Je ne sais rien de vous mais je nous sais si semblables alors, en silence, solitaire s’il en est (vous ai-je dit qu’il m’arrive parfois, alors que je suis seul, de penser, c’est idiot, que quelqu’un, alentour, est de trop ?), alors disais-je, silencieusement, je me voile la face de cette sorte de voile qui.

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Tom Tipunk est né en 1961, à Lille. Sauf mention particulière, Tom Tipunk publie sous Licence Art Libre (Avec la Licence Art Libre, l'autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les œuvres dans le respect des droits de l'auteur. Lire la suite...).